Les récits de catastrophes entre histoire et fiction (XVIe-XVIIIe siècles) – Françoise Lavocat

La notion de « frontière de la fiction », bien qu’elle ne soit pas nouvelle, requiert une clarification préalable4.

Dans un collectif qui porte précisément ce titre5, Marie-Laure Ryan (2001), après avoir fait le constat selon lequel l’ère de la communication électronique promouvait la multiplication de formes mêlant de façon indiscernable récits factuels et fictionnels6, prévoit que le récepteur admettra de plus en plus aisément cette indistinction, en mobilisant intuitivement le modèle « analogique », que l’on peut aussi appeler « continuiste », car il suppose un continuum entre fiction et non-fiction. Dans cette optique, il n’y a pas de frontière discernable entre fait et fiction, mais deux pôles entre lesquels s’échelonnent des textes plus ou moins référentiels, comprenant, par exemple, des personnages au statut sémantique différent. Les textes sont alors plus ou moins « gris » (si l’on attribue aux pôles constitués par le fait et la fiction les couleurs noire et blanche). On admet alors l’existence de degrés de fictionnalité, ce qui suppose aussi que l’on accepte de considérer que la fictionnalité n’est pas incompatible avec la référentialité (Pavel, 1986/1988; Foley, 1986)7.

Au contraire, le modèle « digital », « ségrégationniste » dans la terminologie de Thomas Pavel (1986/1988), ou « dualiste » dans la nôtre (Lavocat, 2010), conduit à envisager les pôles de la fiction et de la non-fiction sous la forme d’une opposition binaire. La fiction est dans cette optique définie par sa non référentialité constitutive (Schaeffer, 1999). La discussion porte alors sur les critères discriminants, narratologiques ou pragmatiques de la fiction (Searle, 1975/1979 ; Genette, 1991 ; Schaeffer, 1999). Si l’on admet malgré tout, dans le cadre d’une théorie dualiste, que l’hybridation entre fiction et non-fiction est possible (ce que refusent, par exemple, aussi bien Dorrit Cohn, 1999/2001, que Vincent Descombes, 1970), le texte peut être analysé comme une mosaïque, composé de morceaux textuels blancs et noirs, factuels et fictionnels8.

Marie-Laure Ryan prône un compromis entre ces deux perspectives, jugeant l’une plus intuitive (le modèle analogique ou continuiste), l’autre conceptuellement plus satisfaisante (le modèle digital ou dualiste). Elle estime que ces deux cadres sont plus ou moins efficaces selon les textes envisagés. Elle propose notamment d’examiner, dans les textes « hybrides », les techniques qui connotent la fictionnalité (modèle continuiste) et celles qui la dénotent (modèle dualiste). Notons cependant que la notion d’ « hybridité » suggère en elle-même un modèle dualiste de référence. De plus, d’un point de vue théorique, ce compromis parait peu satisfaisant, puisqu’il évite de choisir entre deux conceptions différentes de la fiction (référentielle ou non référentielle). Cependant, si l’on se place dans une perspective historique, ne peut-on admettre que l’idée même de fiction et l’appréhension de ses frontières se sont modifiées au cours du temps ?

C’est un court segment de cette évolution que nous nous proposons ici d’éclairer, à la lumière de récits de catastrophes dont la mimesis, au XVIIe siècle comme aujourd’hui, représente une gageure rhétorique, esthétique et morale. Même si les termes de ce défi se sont eux aussi modifiés, comme nous le verrons, celui-ci se pose avec un certaine acuité dès que l’auteur d’un témoignage choisit les techniques de la fiction, ou purement et simplement le mensonge9pour accréditer son option interprétative et renforcer la dimension pathique de sa relation, ou dès que l’auteur de fiction emprunte le style de la relation factuelle et historique exactement pour les mêmes raisons10.

Il s’agit donc ici de mettre à l’épreuve ou d’approfondir le compromis suggéré par Marie-Laure Ryan, en articulant cette réflexion à un ensemble de textes majoritairement narratifs sur les catastrophes naturelles, entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Nous désignons par le mot de « catastrophe », de façon légèrement anachronique11, les tremblements de terre, les éruptions volcaniques, les épidémies, les incendies12. Ce choix s’explique par plusieurs raisons. C’est en effet à partir du XVIe siècle que relations factuelles et récits fictionnels comportent certains traits communs et peuvent éventuellement être mis en concurrence : l’imitation du prologue du Décaméron de Boccace par Marguerite de Navarre, dans l’Heptaméron, en fournit le meilleur exemple. Au XVIIe siècle, l’émergence conjointe de nombreux textes de fiction et de relations factuelles sur les catastrophes a favorisé les emprunts textuels, l’imitation des procédés rhétoriques propres à ces différents types de récit. Il s’agit donc d’un corpus privilégié pour examiner la différenciation ou le gommage des traits caractéristiques du récit factuel (relations, témoignages, histoires) et du récit fictionnel. Il permet également de mesurer l’incidence supposée de la représentation des catastrophes sur ces catégories. Enfin, il nous permettra peut-être de relativiser l’approche actuelle sur cette question.

Le constat d’un vacillement de la frontière entre fait et fiction et d’un brouillage de ces catégories, en relation avec les catastrophes, est en effet aujourd’hui largement partagé.

Dans les années 1970, l’idée selon laquelle la réalité serait une convention linguistique (Barthes, 1967) a été fréquemment associée à celle à d’un effondrement ontologique, consécutif à la seconde guerre mondiale (Federman, 1975) trouvant son achèvement dans la pensée et la création postmodernes (McHale, 1987). Au Japon, la double catastrophe, naturelle et politique, du tremblement de terre de Kobé, en 1994, et de l’attentat de la secte Aum, en 1995, qui coïncide avec la fin de la période d’expansion économique, a été analysée comme l’entrée dans l’ère de la « post-fiction » ; celle-ci est entendue à la fois comme la fin de l’adhésion aux grands récits mystificateurs et l’apparition d’un nouveau mode de consommation de « simulacres » et de « petits récits », produits de la culture numérique et de la pensée post-moderne (Azuma, 2001)13.

Les penseurs japonais de la post-fiction se réclament volontiers de Jean Baudrillard14. Celui-ci, à propos de l’attentat du 11 septembre 2001, avait estimé que la mise en images contemporaine de la catastrophe avait parachevé sa fictionnalisation (2001), dans le cadre d’un processus général de virtualisation, en d’autres termes de disparition du réel (1981). La corrélation entre les catastrophes fictionnelles et actuelles est d’ailleurs fréquemment établie, la fiction étant envisagée comme le signe avant-coureur, prophétique, ou même comme la fabrique de l’événement catastrophique15.

La catastrophe elle-même semble perdre ses contours ; sa définition est en question. Alors qu’elle avait été rendue pensable, à partir du XVIIe siècle, grâce à la distinction d’ordres de causalité différents, la discrimination entre catastrophes humaines et naturelles s’estompe (de quelle catégorie relèvent, par exemple, les catastrophes écologiques ?) ce que condamne vigoureusement Jean-Pierre Dupuy16. Le débat contemporain concerne aussi l’appartenance, ou non, de la catastrophe naturelle à l’histoire humaine (les historiens n’envisagent le rapport des sociétés aux catastrophes naturelles que depuis une quinzaine d’années17). Il porte enfin sur la capacité, le droit ou le devoir pour la littérature de prendre la catastrophe pour objet (N. Heinich, 1998 ; W. Marx, 2005) : c’est alors à nouveau la définition et la légitimité de la fiction qui sont en jeu.

Nous nous proposons d’aborder quelques aspects de cette question non à travers le prisme contemporain mais à partir de quelques exemples de relations de catastrophe naturelle (sous la forme narrative et, exceptionnellement, dramatique) dans la période moderne18.

Dans un premier temps, nous montrerons comment la multiplication et le développement de relations et de témoignages ont bel et bien entrainé l’utilisation de procédés qui « connotent » la fictionnalité, pour reprendre l’analyse de Marie-Laure Ryan. Cependant, la mise en récit ne produit aucune convergence entre récit factuel et fictionnel, contrairement à ce que suppose Hayden White (1987). Notre hypothèse, qui s’inscrit dans le cadre d’une théorie dualiste de la fiction, est que l’écart entre relations factuelles et fictions de la catastrophe ressortit moins aux dispositifs énonciatifs et narratifs qu’à des déclinaisons modales, en particulier à des postulations axiologiques spécifiques au récit factuel sur la catastrophe et aux fictions de catastrophe. Nous nous pencherons cependant sur deux cas embarrassants, dont le statut ontologique pourrait sembler indécidable : il s’agit d’une pièce de théâtre sur la peste de Milan de 1630 d’un auteur oublié, Benedetto Cinquanta, et du Journal de l’année de la peste de Daniel Defoe, un siècle plus tard. Faut-il analyser l’hybridité de ces œuvres en termes de « grisaille », dans le cadre d’une théorie continuiste, ou plutôt de « mosaïque », dans une perspective dualiste ?

I. Récits de catastrophe et roman possible

On a certes écrit sur les catastrophes naturelles avant le XVIIe siècle19. Mais le journal de Lucas Rem au milieu du XVe siècle ou, un siècle plus tard, celui de Thomas Platter20 révèlent précisément ce que ne sont pas les écrits sur la peste, par exemple, avant la fin du XVIesiècle : le récit à la première personne d’un événement collectif envisagé dans son déroulement complet. La catastrophe n’est plus alors seulement un révélateur qui permet de méditer sur la nature de la société humaine ou les pouvoirs de l’imagination (comme chez Thucydide, Boccace, Platter et Montaigne21). Ces motifs restent longtemps des lieux communs sur le sujet. Mais la nouveauté des relations à la première personne, au XVIIe siècle, souvent écrites par des prêtres, des médecins, plus rarement de simples particuliers, à la demande d’un protecteur ou des pouvoirs publics, est qu’elles ont pour cadre et pour objet la catastrophe elle-même. Le fait impose sa temporalité : du 2 septembre entre une heure et deux heures du matin, de la nuit du samedi au dimanche, jusqu’au 6 septembre 1666, pour l’incendie de Londres ; du 16 décembre 1631, lundi matin, à 15 heures, au 5 janvier 1632 pour l’éruption du Vésuve. Le laps de temps pris en compte est la plupart du temps spécifié dans le titre même de la relation. Cette chronologie est déroulée heure par heure, jour par jour pour les éruptions volcaniques et les incendies, semaine après semaine ou mois après mois pour les récits de peste. Le tempo varie selon les textes, qui tendent à prendre de plus en plus d’ampleur au cours du XVIIe siècle. La narrativité et l’authenticité du récit sont soulignées (« vero racconto », ou « relazione », « true narrative »)22.

Les relations sont presque invariablement accompagnées de bilans chiffrés de la mortalité, du calcul des pertes, de la liste des zones détruites. On a d’ailleurs pu montrer, à propos de l’incendie de Londres, comment l’incendie et ses relations avaient promu une nouvelle conscience de l’espace urbain (Wall, 1998). Le récit linéaire vise l’enregistrement d’un événement dans son processus global : sérénité troublée, progrès, akmé, decrescendo et fin, que la relation se conclue sur un retour à l’ordre initial ou sur le tableau du désastre. Ce n’est ni l’ordo artificialis du roman grec et baroque – qui aurait plutôt tendance à commencer par des catastrophes – ni la temporalité de la tragédie, qui se termine par elles. Mais ce n’est pas non plus la succession chronologique des annales23.

Le modèle d’intelligibilité construit par ces relations est à plusieurs entrées. Tout auteur de relation, même le plus enclin à l’explication providentialiste, met en place une chaîne syntagmatique qui met en relief des relations de cause à effet. Dès le XVIe siècle, la syntaxe de l’événement catastrophique fait systématiquement ressortir les mesures et les comportements qui ont eu, ou n’ont pas eu, d’influence sur le déroulement de la crise. Elle la combine avec une chaîne paradigmatique qui oriente l’interprétation du fait en mettant l’événement dont il s’agit en parallèle avec d’autres : comparer l’incendie de Londres avec celui de Sodome et Gomorrhe ou avec celui de Moscou n’est évidemment pas équivalent24. Les auteurs de relation mentionnent toujours une série d’événements comparables. Le parallèle est établi selon des modalités diverses : sous la forme de comparaisons explicites, de chapitres insérés (empruntés à d’autres sources), de listes en annexe, organisées de façon thématique : Giulio Cesare Braccini (1632), par exemple, fournit la liste de toutes les éruptions du Vésuve mémorables depuis l’origine des temps. Alessandro Tadino fait la même chose pour les épidémies de peste (1641).

Le comparaison peut également s’établir avec un texte canonique ; celui-ci joue le rôle de modèle sur le plan rhétorique et stylistique, fournit des outils de compréhension et même des exemples de comportement : les deux lettres de Pline (VI, 16 et 20) ont cette fonction pour plusieurs auteurs de relations de l’éruption du Vésuve de 1629, en particulier celle de Giulio Cesare Braccini (1632). La confrontation, terme à terme, entre le texte de Pline abondamment cité dans les notes marginales et les données de l’expérience récente fournit une explication de l’événement, dicte l’attitude à adopter (faite de courage et de curiosité scientifique), oriente la mise en récit.

L’articulation par le récit de plusieurs événements comparables permet aussi de constituer une mémoire et de conserver l’expérience et le savoir : c’est explicitement ce à quoi vise le couplage fréquent des écrits sur la peste de Milan de 1577 et de 1631, y compris sous forme de recueils, compilant les édits municipaux et les recettes d’apothicaire qui ont servi lors de l’épidémie précédente25. Celle-ci est parfois érigée en modèle, comme c’est le cas de la peste de 1576-1577, associée au souvenir de l’intervention jugée providentielle de Charles Borromée26. L’éditeur peut donc, aussi bien que l’auteur, opérer la mise en série des catastrophes, créant un méta-récit, creuset de la mémoire collective. L’ambition commerciale de ces compilations récapitulatives, à l’approche de chaque menace de peste, est évidente. Elles n’en collaborent pas moins à l’édification d’une histoire et d’une culture de la catastrophe : la publication est couramment justifiée par le regret de la perte des traces des catastrophes anciennes, qui auraient pu utilement instruire les contemporains dans leur désastre présent27.

C’est le développement de la narrativité et la fabrication collective d’un méta-récit qui font tendre le témoignage factuel vers la fiction. Ce genre de mise en série, qui décolle de l’événement et en module, pour ainsi dire, des variations thématiques, « grise » le texte, connote la fictionnalité, surtout lorsque l’analogie a une portée faiblement didactique et exemplaire. La fiction est en effet d’abord connotée par le caractère un peu gratuit, voire légèrement ludique de certaines de ces constructions. Le parallèle ne se veut pas toujours prioritairement instructif. Il s’agit parfois de fournir au lecteur un réconfort (en l’incitant à comparer son sort avec des malheurs plus grands), voire un divertissement. C’est ainsi que l’anonyme anglais, qui se donne le pseudonyme de Rege Sincera, présente le parallèle qu’il établit entre la peste et de l’incendie de Londres de 1665 et 1666 et un incendie de Moscou du XVIe siècle28. Rege Sincera met en valeur la double comparaison dans le titre29 de sa relation et insiste sur sa valeur récréative et consolatrice30.

La relation en elle-même est faiblement narrative : Rege Sincera adopte une division philosophique, rhétorique et juridique pour appréhender « toutes les circonstances du fait » : « quis, quid, ubi, quibus auxilis, cur, quomodo, quando ». Mais il insère dans la section 2, Quid, « what hath he done », un récit qu’il affirmer tirer d’un livre rare écrit dans une langue peu connue31, mais qu’il a pu fort bien trouver dans un recueil d’histoires prodigieuses et mémorables comme celui de Simon Goulart (1618)32. Dans cette compilation de toutes sortes d’événements extraordinaires, rangés par ordre alphabétique, est rapportée, sous l’entrée « Ruines étranges », une histoire à la première personne qui tient du récit de voyage. L’auteur anonyme, qui se présente comme un marchand hollandais, raconte comment il s’est trouvé avec un compagnon cerné par les Tartares, au milieu de Moscou en flammes, retranché dans un magasin en pierre, survivant grâce à un tonneau de bière. Cette histoire, que Goulart juge « merveilleuse », est pleine de péripéties, de suspens (les rescapés parviendront-ils à atteindre les créneaux du château en escaladant des troncs d’arbres glissants ?). Elle regorge d’horreurs inouïes : le narrateur escalade des monticules de corps brûlés qui s’effondrent sous ses pas, les os se brisent comme du verre – ce détail macabre est présent dans le texte anglais et non dans le texte français – le sang lui gicle au visage… Ce texte à l’origine douteuse (Goulart dit qu’il n’est pas encore publié) n’a pas un statut de fiction, même s’il en est peut-être une. Cependant, il a dans le texte anglais la fonction d’un ornement ; il vaut par son art du récit, son exotisme. C’est une échappée. Le témoignage, quoiqu’il revendique son adhérence au fait, donne accès à d’autres mondes. Le parallèle complique la référence, puisque le texte réfère alors non seulement à l’événement actuel, mais à d’autres événements racontés dans d’autres textes.

Le parallèle, ou en d’autres termes la construction d’une chaîne paradigmatique, analogique, des catastrophes, n’est pas le seul moyen de produire des mondes. La chaîne syntagmatique, ce que l’on peut appeler la syntaxe de l’événement, peut bifurquer. C’est ce qui se produit dans les relations qui confrontent des interprétations divergentes.

Les mises en récit de catastrophes au XVIIe siècle comportent en effet presque toujours un débat, un conflit d’interprétation qui est parfois l’enjeu même de la relation. Sont-ce les papistes, ou des espions français qui ont mis le feu à Londres, ou plutôt le four mal éteint d’un boulanger ?33 L’éruption du Vésuve, la contamination de Milan ou de Venise sont-elles dues à des manipulations démoniaques ? Plusieurs récits prennent la forme d’une enquête, procèdent à l’examen d’indices, restituent parfois des dépositions de témoins. Lorsqu’il choisit une option interprétative plutôt rationaliste, l’auteur de la relation rend compte des fables qui égarent le vulgaire. Le récit intègre des fictions, en tant que produits de l’imagination et de l’ignorance. Nous n’entendons pas insinuer que le texte factuel se fictionnaliserait parce qu’il rend compte d’interprétations fausses du fait. Mais dans la mesure où le faux engendre des métaphores, des souvenirs littéraires, des épisodes tragiques et comiques, des portraits, il est à tout le moins embrayeur de littérarité et producteur, même de façon différée, de fiction. L’exploitation par Manzoni du De la Peste de Ripamonti (1641) et d’autres témoignages sur la peste de Milan en est une bonne illustration.

L’ouvrage de Ripamonti est exceptionnel à maints égards. Il est d’abord écrit par un historiographe de la ville de Milan, alors que l’histoire officielle, au XVIIe siècle, passe délibérément sous silence les catastrophes de même qu’elle écarte les témoignages directs. Ce récit de la peste de Milan se distingue des relations de la même époque par son ampleur (à peu près quatre cents pages), par l’écart temporel qui le sépare de l’épidémie (une dizaine d’années, alors que la plupart des relations sont publiées l’année qui suit la catastrophe). Ripamonti met surtout la peste, considérée comme un événement, en conformité avec les normes de l’écriture historiographique. La dimension humaine est privilégiée ; le livre commence par une longue évocation des guerres du Milanais jugées comme les causes de l’épidémie. Le récit est majoritairement hétérodiégétique. Une première personne testimoniale intervient cependant, de façon discrète mais stratégique : elle apparaît dans le second chapitre, consacré à l’affaire des « untori » (les « oigneurs » ou « engraisseurs »), pour discréditer l’hypothèse démoniaque.

Or, il n’est pas impossible que cette construction soit mensongère, si l’on en croit en tout cas un détracteur de Ripamonti, le médecin Tadino. Celui-ci fait, en effet, paraître en 1648 une relation rivale de celle de Ripamonti où il affirme que celui-ci n’était pas physiquement présent à Milan pendant l’épidémie. Il se gardera, quant à lui, d’orner sa relation d’un « dire romanzo »34 : on peut supposer que cette revendication d’authenticité et de simplicité le distingue à ses propres yeux de son rival.

 On ne peut être certain de la fausseté du témoignage épisodique à la première personne de G. Ripamonti. Mais il est tout à fait possible que certains passages décisifs soient des constructions fallacieuses. On n’appellera pas cette première personne « fictive », en raison de la distinction qu’il convient d’opérer entre la fiction (si l’on s’accorde à définir celle-ci comme « feintise ludique partagée »)35 et la feintise non partagée, c’est-à-dire le mensonge.  Cependant, il est vrai que ce distinguo est fragile : la différence est-elle bien grande entre cette première personne suspecte de Ripamonti et le narrateur du Journal de l’année de la peste de Defoe, désigné par des initiales qui sont celles de l’oncle de l’auteur ? Ces dispositifs énonciatifs non entièrement fiables rangent ces deux textes, factuels et fictionnels, de part et d’autre de la frontière, mais les rendent très voisins.

Les passages du De la peste de 1630 où intervient cette première personne douteuse sont en outre précisément celles que l’auteur désigne comme les plus littéraires. Il livre par exemple trois anecdotes illustrant l’aveuglement de la foule, qui sont toutes trois authentifiées par le témoignage personnel36. Il les présente en spécifiant leur registre (tragique, moyen, comique) dans le but, affirme-t-il, de divertir le lecteur. Ailleurs, l’auteur s’attarde sur le portrait d’un des protagonistes de l’affaire des empoisonneurs. La description de sa physionomie et de son accoutrement (chapeau à larges bords, barbe rousse, gilet noir, culotte déchirée et bottes percées)37 campe un personnage haut en couleurs qui pourrait appartenir à un univers picaresque. Dans le premier cas, c’est le méta-discours qui classe les événements racontés selon des catégories poétiques, qui connote la fictionnalité ; dans le second cas, c’est le surplus descriptif et sa gratuité.

L’esthétisation explicite de la catastrophe est repérable dans plusieurs textes de cette époque, en particulier autour de l’éruption du Vésuve et à travers des passages descriptifs à forte densité métaphorique. Mais Giuseppe Ripamonti est sans doute le seul à exprimer l’idée selon laquelle la peste est un sujet d’inspiration privilégié pour les artistes, en particulier pour les peintres. À ses propres yeux, il fait lui-même œuvre littéraire. Dans le livre V, qu’il consacre à des parallèles entre la peste de Milan et celles d’Athènes et de Florence, il se place sous la protection des muses homériques. La comparaison qu’il instaure entre son propre récit de peste et ceux de Thucydide et de Boccace dessine une lignée à la fois historique et littéraire. Celle-ci lui permet de formuler son esthétique du récit de peste, fondée sur la merveille, l’ornement, la variété (le plaisir dans l’atrocité) et la théâtralité (« in scenae ostentationem retulere)38. Il affirme avoir voulu écrire, pour le soulagement du lecteur rassasié d’horreurs, une « tragédie mêlée de chants et de danses »39. L’assimilation paradoxale de l’histoire de la peste à un jeu théâtral (« ludus »), un divertissement (« recreabit »), la vertu prêtée au parallèle (« comparando ») de transporter le lecteur d’une époque et d’un monde à l’autre suggèrent un champ notionnel qui est celui de la fiction.

Esthétisation et littérarisation de la peste ne font pas du De la peste de 1630 une fiction, mais elles font de la fiction un monde possible du récit de peste. Manzoni en construira une version en important, notamment, le personnage du spadassin au chapeau, comme Defoe s’inspirera entre autres, de Thomas Vincent et de Rege Sincera. La réécriture des récits factuels en fictions, entre le XVIIe, le XVIIIe et le XIXe siècle, est certainement favorisée par la visée littéraire de ces récits, leur tension vers une dimension poétique. Le développement de la narrativité joue aussi un rôle déterminant.

En effet, à partir du XVIIe siècle, les récits de catastrophe, en particulier de peste, exploitent un système de causalité privilégiant les causes finales, c’est-à-dire humaines. Ils ont pour objet la confrontation de l’action des hommes à un événement aux causes inconnues. Ils peuvent s’ordonner autour d’une figure hagiographique providentielle (comme Charles Borromée pour la peste de 1577), ou autour des efforts plus ou moins couronnés de succès d’une communauté ou d’un médecin en bute à la population pour juguler le fléau40. Cette dimension agonistique inscrit dans la relation du désastre un début de tension narrative. Un récit aux allures de roman peut parfois aussi se déployer dans une sorte d’excroissance de la relation factuelle : c’est le cas de l’histoire du marchand hollandais chez Rege Sincera ou de l’affaire des prétendus oigneurs (ou « engraisseurs ») chez Ripamonti. C’est donc bien à travers le développement de la narrativité que s’opère un rapprochement relatif entre récits fictionnels et factuels, tant du point de vue des techniques employées que des effets recherchés.

II. Fictions de catastrophe : du binarisme axiologique à la faction

Qu’en est-il maintenant de l’autre pôle, celui de la fiction, où les catastrophes, exactement à la même période où sont produits ces relations, histoires et témoignages, deviennent un motif récurrent ? Les romans empruntent aux relations factuelles certaines caractéristiques ; mais cela n’entraine aucune transgression de la frontière entre fait et fiction. Au XVIIe siècles, les mondes projetés par ces différents types de récits restent incompossibles, même lorsque le jeu de l’intertextualité les fait apparaître comme partiellement engendrés les uns par les autres.

C’est le cas du début de l’imitation par Marguerite de Navarre, au début de l’Heptaméron de (1542) du Décaméron de Boccace (1348). Dans les deux textes, une catastrophe, une peste, une inondation, est à l’origine de la retraite d’un petit groupe de devisants. Mais le récit boccacien est factuel, comme l’indiquent l’authentification par le lieu, la date et le témoignage personnel. Le second, hétérodiégétique, est fictionnel : il n’y a ni date complète, ni stratégie d’authentification repérable. Le récit de Boccace prend la peste comme objet, dans son déroulement, ses symptômes, ses effets, alors que l’inondation de Marguerite de Navarre n’est qu’une péripétie inaugurale, qui jette les personnages sur les routes, les expose à des aventures et leur permet de faire connaissance. La peste de Florence ne suscite aucun comportement individuel exemplaire, alors que l’inondation dans les Pyrénées fabrique des personnages : Oisille y montre son courage, Dagoucin et Saffredent leur valeur guerrière et leur générosité. La peste de Florence, qui ruine toutes normes et abolit tout lien, et dont rien ne procède, a une fonction de seuil. Elle figure, à l’intérieur de l’œuvre même, la séparation entre histoire et fiction. Les personnages boccaciens ne peuvent que fuir la peste, pour fonder ailleurs et provisoirement un autre ordre. L’inondation de l’Heptaméron est fictionnelle et instigatrice de péripéties romanesques : elle est à l’origine des aventures qui sélectionnent le petit groupe des rescapés.

Les catastrophes fondatrices sont assez nombreuses dans le roman baroque. L’énormité de l’événement est à la mesure de ces romans démesurés, qui se veulent nés d’un événement extraordinaire. C’est un incendie qui ouvre Artamène ou le Grand Cyrus (1649), une inondation et un tremblement de terre qui séparent les héros de Clélie, histoire romaine(1654), le jour de leur mariage, et met en branle la grande machine romanesque des poursuites, des retrouvailles et des séparations. L’inondation, qui précède le tremblement de terre, remodèle le paysage et met au jour un somptueux champ de ruines antiques, que les héros admirent avant l’éruption volcanique destructrice. Ce que figure cette pause contemplative entre les deux temps de la catastrophe, c’est bien l’inclusion de l’histoire dans la fiction, ce que revendique d’ailleurs clairement la poétique du roman baroque, telle que l’exprime, justement, Georges de Scudéry dans la préface d’Ibrahim : le roman exhume les héros du passé, mais comme la vérité historique est inconnaissable, il les recrée librement, dans le registre élevé.

Si la place inaugurale de la plupart des catastrophes fictionnelles infléchit leur statut et son sens (elles produisent une tabula rasa à partir de quoi surgit le nouveau monde du roman), en quoi le monde qu’elles fabriquent est-il si distant de celui des témoignages et des relations factuelles ?

Par certains aspects, ils sont assez proches ; l’influence réciproque des récits factuels et fictionnels est probable. Dans l’histoire de Cléon et de Tircis, dans le septième livre de la première partie de L’Astrée (1607), l’épidémie de peste n’est pas racontée dans tout son déroulement, mais l’épisode commence par les circonstances, toutes historiques et humaines, de son apparition : la guerre et par conséquent l’afflux des réfugiés des campagnes à Paris. Le récit de peste proprement dit se termine avec la mort de Cléon, la mise en quarantaine des survivants, ainsi que de quelques anonymes, moyen économique de suggérer la foule. Si ce monde de la peste est beaucoup plus incomplet que celui de Ripamonti et de Tadino, on y trouve, de façon assez inattendue dans une pastorale, une « lancette » (avec laquelle Tircis perce sous l’ « aisselle » de sa maîtresse quelque chose qui n’est pas appelé un bubon)41, des croque-morts indélicats, une fosse commune et un cadavre puant. L’incendie du Grand Cyruscomprend des maisons que l’on abat pour arrêter l’incendie, des habitants qui jettent leurs biens les plus précieux par la fenêtre, des mères aux cheveux enflammés qui courent avec leurs enfants dans leurs bras et un bruit « inouï »42. Le tremblement de terre inaugural de Clélie engloutit ensemble les hommes et les troupeaux, exactement comme celui du Vésuve que décrit Braccini. Celui-ci, comme Mlle de Scudéry, commence d’ailleurs par la description d’un paysage idyllique pour mieux en mettre en valeur la destruction. Il n’y a pas d’emprunts textuels particuliers, mais l’effort pour saisir le fait dans sa dimension globale et sensible (odeur, bruit, couleur) est bien mis en œuvre dans les deux types de textes par des procédés identiques. Le récit factuel met en forme l’expérience individuelle à travers le témoignage à la première personne. Le panorama de la ville de Sinope en flammes, découverte du haut d’une colline par Artamène, met en scène un point de vue singulier devant l’événement, à travers l’égarement d’une conscience, qui de façon intéressante, doute de la réalité du spectacle43. Cependant, le lecteur ne peut pas longtemps ignorer que « l’Amoureux Artamène »44 est moins sous le choc de la vision de la catastrophe qu’anéanti par la crainte d’avoir perdu Mandane.

Malgré les apparences, il n’y a pas, en effet, de voies d’accès entre ces mondes fictionnels et les événements relatés par les témoignages, parce qu’ils sont régis par des systèmes axiologiques et de causalité totalement différents45. Dans le monde affecté par des catastrophes actuelles, la dissolution extrême de tout lien, social et familial est une constante. Il n’est jamais question d’amour. La peste, en particulier, est toujours l’occasion de décrire la disparition du sentiment d’humanité. C’est en toute connaissance de cause que les auteurs de fiction prennent le contre-pied de cette loi du récit factuel. Dans L’Astrée, la règle générale46est aussitôt contredite par l’exception que représente Cléon, qui sacrifie sa vie pour soigner sa mère, et par Tircis, qui risque la sienne jusqu’à prendre dans ses bras le cadavre en putréfaction de sa maîtresse. De même, alors que les gens de Sinope arrêtent de lutter contre le feu pour se battre contre les troupes d’Artamène, celui-ci arrête de se battre pour secourir la ville ennemie en flammes. Ce renchérissement de la générosité du héros baroque dans la catastrophe, qui est bien la pierre de touche du romanesque, est inséparable d’une simplification du système de causalité. Celui-ci ne suggère en aucun cas l’idée de châtiment divin. L’origine du mal ne fait jamais débat, même si la découverte du responsable, comme dans Artamène, est longuement et habilement différée. C’est la distribution du possible et de l’impossible (qui fait par exemple que Tircis n’est pas contaminé par l’étreinte du cadavre pestiféré), la modification de la nature même de la catastrophe (elle laisse intact « le bon naturel » des personnages), qui autorisent la disparition de toute transcendance, puisqu’elle est incarnée par les héros eux-mêmes.

Le monde de la fiction baroque se construit en contrepoint du monde référé par les témoignages et les relations, bien qu’il en imite peut-être le mode de saisie du réel.

Cependant, un exemple non narratif amène à nuancer ces conclusions en faveur d’une approche dualiste. Peut-être est-il peu représentatif, car il constitue véritablement un hapax. La Peste de 1630 du prêtre franciscain et dramaturge Benedetto Cinquanta, témoin oculaire de l’épidémie milanaise, est en effet, à notre connaissance, le seul exemple de relation sur un événement catastrophique, à cette époque, sous la forme théâtrale47. Le caractère référentiel de la pièce est affirmé par le titre (La peste del 1630). Il est d’ailleurs frappant que le titre de cette pièce de théâtre, en italien, soit le même que celui du traité historique de Ripamonti, en latin48. La dimension testimoniale de l’œuvre est attestée par le paratexte et inscrite dans la pièce par la présence d’un personnage de prêtre, nommé « Fortunato », que l’on peut identifier comme une contrepartie de l’auteur, Benedetto Cinquanta : les éléments biographiques associés à ce personnage, de même que sa position de témoin y invitent. Dans la perspective de l’auteur, sans doute partagée par ses lecteurs ou ses spectateurs49, la pièce n’est pas une fiction au sens de création de l’imaginaire. Cinquanta insiste plutôt sur la mise en forme50 poétique (une fiction au sens de fingere, façonner) capable de rendre représentable l’événement innommable, indescriptible, à l’image du chaos51. C’est même la première fois, nous semble-t-il, qu’est énoncée avec clarté l’idée familière à notre époque selon laquelle la disproportion entre le fait et le langage rend l’œuvre d’art à la fois impossible et nécessaire. Dans la pièce elle-même, l’écart axiologique, que nous avons identifié comme l’opérateur essentiel de la distinction entre fait et fiction à l’époque moderne, s’est beaucoup réduit, sans toutefois disparaître. En effet, l’intention exemplaire est indéniable : alors que l’on sait, depuis Thucydide, que la peste frappe indifféremment les bons et les méchants52, l’épidémie représentée par Cinquanta touche plus particulièrement les prostituées, les filles rebelles53 et les croque-morts indélicats. Mais aucun personnage de la pièce n’est pourvu d’un ethos héroïque, qui lui ferait braver le danger ; parmi les dix-neuf personnages de La peste de 1630, il n’y a pas un seul amoureux, susceptible d’illustrer la puissance des sentiments, intacte, ou même décuplée dans l’épreuve du désastre.

L’originalité de cette hybridation entre témoignage et fiction tient-elle au caractère non narratif de l’œuvre, qui aurait permis à l’auteur de s’émanciper de formules stéréotypées ? L’auteur a, en tout cas, su s’affranchir totalement du canon aristotélicien. On peut avancer que la catastrophe, à travers l’exigence du témoignage qu’elle impose et la sidération face à l’événement qu’elle suscite, a généré une innovation formelle, passant par la création d’un objet au statut ontologique problématique.

On ignore tout de la réception de cette pièce, qui ne semble pas avoir bénéficié de rééditions ultérieures, et qui jusqu’à une date récente54 est tombée dans l’oubli. Dans la perspective actuelle, on pourrait l’envisager comme une « faction » : elle correspond exactement à ce que l’on appelle couramment « docu-fiction », en tout cas selon la définition de Gary D. Rhodes et J. Parris Springer (2006) : une fiction construite en parallèle avec des événements connus. On peut aussi l’analyser en terme d’auto-fiction (en raison du statut du personnage du prêtre Fortunato).

L’exemple de faction le plus connu intervient un siècle plus tard, et les modalités d’hybridation qu’il met en œuvre sont très différentes de celles que nous venons d’analyser, sans doute en raison d’une culture du fait différente55 ainsi que d’une conscience et d’une définition du fictif plus proches de la notre.

Le Journal de l’année de la peste, récit homodiégétique d’un personnage désigné par des initiales (H. F.)56, construit un système axiologique et aléthique mimétique de celui du témoignage57. Ce texte donne, semble-t-il, de solides arguments à la théorie de Käte Hamburger  (1957/1986), car l’usage de la première personne introduit un tel trouble que l’on pourrait estimer qu’elle installe le régime de la feintise et non de la fiction. On a même supposé que Defoe publiait un journal réel. Cependant, une interprétation fondée sur l’idée de feintise-simulation ne rend pas compte de la totalité du texte. Celui-ci dénote expressément la fictionnalité par différents moyens. Ainsi dans une longue histoire intercalée, est raconté le périple à travers la campagne anglaise de deux hommes58. Ce récit hétérodiégétique introduit un surcroît de narrativité et un certain suspens ; il fait en outre intervenir massivement le dialogue, indice de fictionnalité s’il en est. Plusieurs anecdotes et historiettes folkloriques répandues dans toute l’Europe du XVIIe siècle (comme celle du pauvre cornemuseur ivre qui manque d’être enseveli par erreur59) s’ajoutent à ce matériau fictionnel. On trouve aussi un marchand hollandais barricadé dans sa maison comme dans une forteresse60, qui semble bien être celui qui a circulé, du Moscou de Goulart et de Rege Sincera, jusqu’au Londres de Defoe.

Dans la terminologie de Marie-Laure Ryan, on peut analyser cette œuvre comme une mosaïque : les « briques » factuelles et fictionnelles sont en effet repérables, même si certaines sont dissimulées. L’hybridité tient beaucoup aux documents inclus dans le texte (règlement du lazaret, édits municipaux, inscriptions cabalistiques sur les portes, bilans de mortalité). Elle provient aussi du statut ambigu de la première personne, identifiable comme un proche de l’auteur, sans se confondre avec lui, tandis qu’aucun paratexte n’atteste l’existence d’un document ayant appartenu à Henry Foe. Ce dispositif s’apparente à la feintise ludique, telle qu’elle est expérimentée sous toutes ses formes dans les romans que XVIIIesiècle (J. Herman, M. Kozul et N. Kremer, 2008). Mais il ne s’agit pas non plus d’un « roman véritable » comme un autre : la valeur mémorielle de la catastrophe réelle confère à la fiction une valeur référentielle toute particulière, que les fausses mémoires du temps, y compris celles écrites par Defoe lui-même – de Robinson Crusoë à Roxana – ne possèdent jamais : il s’agit, en effet, à la fois de rappeler un épisode dramatique de l’histoire de Londres et d’exposer, d’examiner et de mettre en question toutes les connaissances disponibles en de telles circonstances, en cas d’un retour, probable, de l’épidémie : au moment où paraît l’œuvre, en 1722, la peste fait rage à Marseille et la contagion pourrait s’étendre à l’Angleterre. L’œuvre de Defoe s’apparente donc aussi à une expérience de pensée, comparable dans une certaine mesure aux mises en scène de grande ampleur que réalisent aujourd’hui les gouvernements pour tester la capacité de réaction des pouvoirs publics en cas de catastrophe.

Autant que La peste de 1630 de Benedetto Cinquanta, quoique de façon tout à fait différente, Le Journal de l’année de la peste de Daniel Defoe est un cas unique et original de brouillage entre fait et fiction. La catastrophe implique en effet des modalités d’hybridation spécifiques, parce que les éléments factuels, dans ces circonstances, ne sont jamais totalement résorbables dans la fiction, au moins pour deux raisons : parce qu’ils appartiennent à la mémoire collective, visant à la construire ou la transmettre, et parce que la représentation de l’événement extrême attesté suscite un mode de croyance et d’adhésion incompatibles avec la reconnaissance de la feintise ludique : les lecteurs du Journal de l’année de la peste ont d’ailleurs plutôt eu tendance à minimiser, voire à ignorer la part fictionnelle de l’œuvre.

La première conclusion que nous pouvons tirer de cette analyse est qu’une convergence relative des procédés narratifs s’est effectivement produite à la faveur de la multiplication et du développement des récits qui prennent la catastrophe comme objet, au début du XVIIesiècle. Certains écrits historiques, ou témoignages, tendent vers la fiction et ont d’ailleurs ultérieurement servi de matériau à des fictions. Cependant, ce rapprochement n’induit aucune confusion. Les modalités qui régissent l’univers projeté, aléthique (le possible et l’impossible), épistémique (le su et l’insu), déontique (le permis et l’interdit), et surtout axiologique (le bien et le mal), diffèrent, souvent radicalement, selon qu’il s’agit de relations factuelles ou de fictions : le roman postule une excellence de la nature humaine à laquelle les lois de la nature se plient – sans quoi, dans L’Astrée, Tircis ne pourrait pas s’enfermer avec Cléon malade, la soigner sans précaution et embrasser son cadavre en putréfaction sans être contaminé. Cette différence se réduit avec la transformation du roman à la fin du XVIIe, sans jamais se résorber tout à fait.

Cependant, de façon exceptionnelle, les œuvres qui traitent de la catastrophe font parfois bouger les lignes de la frontière entre fait et fiction. La pièce de théâtre testimoniale de Benedetto Cinquanta peut être envisagée comme une œuvre en « grisaille » selon un modèle continuiste, car elle est à la fois fictionnelle (par ses personnages et ses péripéties) et intensément référentielle (tout dénote la peste historique de Milan). L’œuvre de Defoe apparaît plutôt comme un texte en « mosaïque », car l’œuvre comprend à la fois des propositions factionnelles et fictionnelles, identifiables comme telles. Les « briques » documentaires incluses dans le texte suggèrent bel et bien l’image d’un patchwork ontologique, si bien que Le Journal de l’année de la peste semble plutôt accuser les lignes de frontière entre fait et fiction que les estomper. La différence entre les deux œuvres tient en partie à un rodage des procédés de feintise, ce qui induit une conscience plus nette, de la part de l’auteur du XVIIIe siècle, des caractéristiques réciproques de la fictionnalité et de la factualité.

À la lumière de ce parcours, la dichotomie proposée par Marie-Laure Ryan se trouve-t-elle validée ? Il apparaît que le modèle dualiste ne s’avère pas seulement théoriquement plus satisfaisant : sa valeur descriptive est certaine, car il permet de rendre compte de la très grande majorité des textes de la période que nous avons envisagée. Mais si l’opposition (selon notre hypothèse essentiellement modale) entre factualité et fictionnalité est repérable dans un très vaste corpus, cela n’empêche pas des convergences partielles entre textes référentiels et non référentiels, que l’on peut apprécier en terme de degrés. La catastrophe, comme nous avons essayé de le montrer, suscite tout particulièrement l’appropriation réciproque par le roman, l’histoire ou le témoignage de discours et de motifs appartenant à des registres divers, parce que la représentation de l’événement extrême, à la recherche de la plus grande efficacité pathique, favorise la transgression des frontières et des genres. Mais ce compromis (un dualisme gradualiste) ne suffit pas. Accepter la définition schaefférienne de la fiction comme « feintise ludique partagée » oblige à tenir compte de l’intentionnalité (la « feintise » est une posture auctoriale) et de la réception (sans laquelle il n’y a nul partage). La pièce de Cinquanta n’a certainement été ni pensée ni reçue en ces termes61. L’existence de fictions référentielles à forte vocation testimoniale invite à relativiser la thèse dualiste, et à reconnaître que des œuvres relèvent d’une autre appréhension du rapport entre fait et fiction, que l’on pourrait qualifier de moniste62. À l’encontre de l’emphase mise depuis quelques décennies sur la narrativité (supposée être l’opérateur essentiel de la fictionnalité), rappelons que la seule œuvre véritablement hybride de notre corpus est une pièce de théâtre. En définitive, si l’on veut être consistant par rapport à la définition de la fiction adoptée, la conclusion prudente de Marie-Laure Ryan, selon laquelle le modèle analogique ou digital, en grisaille ou en mosaïque, est plus ou moins pertinent selon les textes et les époques s’avère indépassable.

Nous en proposons les prolongements suivants. Pour évaluer le statut des textes en « grisaille », c’est à la fois l’expression d’une intention auctoriale testimoniale ou documentaire, la présence, le cas échéant, d’un narrateur, les indices globaux de référentalité (comme le titre), le système des noms propres, le degré d’élaboration des péripéties et leur autonomie par rapport à la catastrophe collective, l’individuation des acteurs et leur ethos qui entrent en compte. Selon ces critères, La peste de 1630 de Cinquanta est une faction plus fictionnelle que, par exemple, D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère (2009)63. En ce qui concerne les œuvres en mosaïque, c’est le nombre et la qualité des enclaves factuelles ou fictionnelles qu’il faut apprécier, en se demandant quel est le statut de la toile de fond et quelle stratégie recouvre l’hybridation. On peut remarquer que l’exhibition de briques ontologiquement distinctes peut être l’indice d’un leurre ; l’insertion de parcelles documentaires masque parfois la nature fictionnelle du territoire. Ainsi, dans le film de Peter Greengrass, United 93 (2006)64, l’identité des noms des personnages avec ceux des personnes réelles, la reproduction des conversations téléphoniques des passagers, la présence d’un protagoniste qui joue son propre rôle65, la caution, ratifiée dans le making off, des familles des victimes66 conduisent à occulter la nature fictionnelle du film : est-il nécessaire de rappeler que nul ne sait ce qui s’est réellement passé dans l’avion ? Il est difficile de déterminer si ce film en « mosaïque » comporte plus de briques factuelles que Le Journal de l’année de la peste. Dans le roman de Defoe, le point de vue est fictif mais tend à se faire passer pour celui d’une personne réelle (Henry Foe), sans pour autant multiplier les gages d’authenticité; dans le film de Greengrass, tout concourt à faire oublier que la saisie des faits prétendument reconstitués est impossible.

Les représentations hybrides des catastrophes des XVIIe et XVIIIe siècles nous autorisent-elles enfin à relativiser la nouveauté des formes contemporaines du docu-fiction et de l’auto-fiction ? La production artistique et critique actuelle accorde sans aucune doute aux formes hybrides et à la question du témoignage une place et une importance inédites. Le parallèle, dans ces conditions, a-t-il un sens ? Nous avancerons prudemment (en songeant à Cinquanta et Defoe) que la part de la fiction est plus manifeste dans les factions des XVIIe et XVIIIesiècles et que son usage est moins suspecté qu’aujourd’hui. C’est en outre plutôt la conviction de la nécessité d’une appréhension poétique de la catastrophe (chez Braccini par exemple), voire d’une nature intrinsèquement esthétique de celle-ci (chez Ripamonti) qui domine, ce qui valide en définitive l’analyse W. Marx (2005) concernant la prise en charge des catastrophes par la littérature : loin d’être contestée, comme elle l’a été après la seconde guerre mondiale, elle va à peu près de soi entre 1600 et 1800.

Les écrites sur les catastrophes de cette période n’ignorent cependant pas totalement les données de la réflexion actuelle sur la façon dont l’art et la fiction peuvent ou ne peuvent représenter le malheur collectif dans une perspective mémorielle et consolatrice. Mais ce n’est que de façon incidente que sont soulevées les questions du faux témoignage et de l’indignité du langage poétique (par Tadino) ou encore celle de la défaite du sens face à l’événement extrême (par Cinquanta). Le sentiment de culpabilité du survivant est également évoqué dans cette pièce, de même que se trouve posé par Defoe le problème moral de la curiosité à l’égard du spectacle de la mort. Ce sont donc bien les œuvres hybrides, en « grisaille » ou en « mosaïque », qui ont permis d’exprimer sur la catastrophe les points de vue qui nous semblent les plus actuels. Pour cette époque, et peut-être aussi pour la nôtre, ce sont les jeux et les échanges aux alentours de la frontière entre fait et fiction, et non pas l’abolition de celle-ci, qui se sont avérés les plus productifs.

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Notes

1  Voir à ce propos l’intéressante mise au point d’E. Finkel, qui considère que son film Voyages a été indument qualifié de “docufiction sur les survivants de la Shoah” dans les Cahiers du cinéma. Selon le cinéaste, qui revendique le caractère fictionnel de son film, “c’est une trou noir de n’être ni fiction ni documentaire” (2005, p. 388).

2  Dans une étude qui compare l’impact du documentaire et celui du film de fiction à propos d’un événement historique catastrophique (le génocide du Rwanda), les psychologues H. Lamarre et K. Landreville (2009) concluent à la pré-éminence du récit factuel en termes d’émotion et d’apprentissage, mais appellent aussi de leurs vœux des formes hybrides.

3  Une des meilleures illustrations récente en est sans doute donnée par N. Huston (2008).

4  Nous n’allons pas récapituler dans le cadre de cette contribution les thèses de G. Genette (1991) et de J.-M. Schaeffer (1999, 2005), dans la lignée desquels nous nous inscrivons. Nous retenons comme définition de la fiction celle de « feintise ludique partagée », malgré son caractère très occidental et plutôt extrémiste (pour une mise en perspective des différentes acceptions de la notion de fiction dans l’espace et dans le temps, nous nous permettons de renvoyer à F. Lavocat et A. Duprat éds., 2010). Nous distinguons par conséquent la fictionnalité de la narrativité et de l’esthétique, même si nous montrons dans cet article que mise en récit et littérarité orientent les textes factuels vers la fiction (sans pourtant en faire des fictions). Nous sommes également en désaccord avec l’approche pragmatique défendue par J.-M. Schaeffer qui affirme, après Searle, qu’il n’y a pas de critères internes de fictionnalité.

5  A. Gefen et R. Audet (2002). Les articles sont d’abord parus sous la forme d’un colloque en ligne sur le site fabula en 2001 (http://www.vox-poetica.org/t/articles/wagner2006.html#_edn1)

6  Les aerticles réunis par B. Guelton fournissent à cet égard des exemples probants.

7  L’opposition entre modèle « analogique » ou « digital » n’est qu’une variante de celle entre thèses « intégrationnistes » et « séparatistes » (Pavel, 1986/1988), ou encore « gradualistes » (Genette, 1991) et « séparatistes » (Cohn, 1999/2001). Pour une synthèse de ces débats, au profit d’une position « gradualiste » (« grise », « analogique » dans la terminologie de Ryan, « intégrationniste » dans celle de Pavel, ou encore « continuiste »), voir F. Wagner (2006).

8  La position défendue dans cet article ne suit donc pas non plus la suggestion de C. Dornier (2005), qui tente de concilier a minima certaines propositions de D. Cohn (la différence entre fait et fiction est de nature et il n’y a pas de degré de fitionnalité), de Searle (il n’y a pas de critères internes de fictionnalité) et d’Hayden White (tout récit est fictionnel, dans le sens où la fiction est fabrication).

9  Voir infra, notamment, sur G. Ripamonti (1641).

10  Voir infra, notamment, sur D. Defoe, Le Journal de l’année de la peste (1722).

11  Le mot, qui apparaît au milieu du XVIe siècle comme un terme de poétique, prend déjà, chez Rabelais, le sens élargi de bouleversement funeste. Mais pour Furetière, en 1660, « catastrophe » est encore un « terme de poésie », qui se dit « figurément d’une fin funeste et malheureuse, parce que d’ordinaire les actions qu’on represente dans ces poemes dramatiques serieux sont sanglantes ». Voir aussi, sur ce point, M. O’Dea (2008).

12  On pourrait naturellement aussi évoquer les inondations et les naufrages. Voir les contributions d’A. Duprat (2008, 2011) et de C. Liaroutzos (2011) sur les relations de ce type de catastrophes. Les articles d’A. Duprat concernent également le rapport à la fiction dans les récits de témoignage de rescapés de catastrophe.

13  H. Azuma reprend les thèses de M. Osawa, dont l’ouvrage, Kyekô no jidai no hate [Au bout de l’époque des fictions] (1996), n’a pas été traduit du japonais. Cette pensée s’inspire aussi de celle du sociologue M. Mita (1992) qui distingue, dans le Japon d’après-guerre, trois ères : celle de la réalité (1945-1960), celle du rêve (1960-1970) et celle de la fiction (1970-1990). Dans cette perspective, la période qui succède à celle des années 1990 ne peut être que celle de la « post-fiction ».

14  « Qu’en est-il alors de l’événement réel, si partout l’image, la fiction, le virtuel perfusent dans la réalité ? Dans le cas présent, on a cru voir (avec un certain soulagement peut-être) une résurgence du réel et de la violence du réel dans un univers prétendument virtuel. “Finies toutes vos histoires de virtuel – ça, c’est du réel !” De même, on a pu y voir une résurrection de l’histoire au-delà de sa fin annoncée. Mais la réalité dépasse-t-elle vraiment la fiction ? Si elle semble le faire, c’est qu’elle en a absorbé l’énergie, et qu’elle est elle-même devenue fiction. On pourrait presque dire que la réalité est jalouse de la fiction, que le réel est jaloux de l’image… C’est une sorte de duel entre eux, à qui sera le plus inimaginable » (Baudrillard, 2001).

15  T. Sotinel, dans un article du Monde daté du 16 mars 2011, intitulé « Le Japon, une culture du désastre ».

16  S. Callens (2003, 2006) critique le « catastrophisme éclairé » de J.-P. Dupuy (2002, 2005) qu’il juge métaphysique et moralisateur. Voir également la recension d’Y. Citton (2009) sur un certain nombre d’ouvrages polémiques concernant le catastrophisme ambiant et ses enjeux politiques.

17  R. Favier (2005) étudie les rapports des sociétés à l’événement catastrophique ; G. Quenet (2005) montre la construction de la notion de « risque sismique » au XVIIe et au XVIIIe siècles.

18  Cette analyse s’appuie sur un dépouillement de sources et une recherche collective effectués dans le cadre de l’A.C.I., « Styles et partages du savoir, 1550-1700 ». Les travaux de l’équipe (G.-C. Alfano, A. Duprat, J. Hoock, P. Kapitaniak, C. Liaroutzos,  L. Picard, C. Zonza) sont réunis dans Lavocat éd., 2011. De nombreux textes cités dans cet article (de Bicciola, Braccini, Ripamonti, Rege Sincera) ont fait l’objet d’une édition et d’une traduction partielles dans ce recueil. Certaines thèses développées dans cet article (issu d’une communication prononcée en 2006) sont aussi exposée dans Lavocat (2011a).

19  Peu d’études concernent la représentation des catastrophes avant le XVIIIe siècle (mis à part, les nombreux travaux sur Boccace et sur Defoe). Voir cependant : Grimm (1965) ; Benassar (1995) ; Berlioz (1998) ; Zeller (2002, 2005) ; Groh, Kempe et Mauelshagen (2003) ; Quenet (2005) ; Favier (2006) ; Jouhaud et al. (2009).

20  Il s’agit de Platter l’aîné (1499-1582).

21  Pour Montaigne, la peste est aussi une maladie qui affecte l’imagination par la terreur (Essais, III, 12 « De la Physionomie », 2007, p. 1094).

22  Les titres de plusieurs relations italiennes sont à cet égard éloquents : P. Bisciola (1577) : « Relatione verissima del processo della peste di Milano, qual principio nel mese d’Agosto 1576 e segui fino al mese di maggio 1577… » ; « Relation très véridique de la peste de Milan, qui commença au mois d’août 1576 et se termina à la fin du mois de mai 1577 » ; G. F. Besta (1627) : « Vera narratione del successo della peste, che afflisse l’inclita città di Milano, l’anno 1576, & di tutte le provisioni fatte a salute di essa Città. » ; « Vraie narration du déroulement de la peste, qui affligea la ville de Milan l’an 1576 et de toutes les mesures prises pour la santé de cette ville » ;  G. C. Braccini (1632) : « Dell’incendio fattosi nel Vesuvio a XVI. Di dicembre M. DC. XXXI. E delle cause, ed effetti. Con la narratione di quanto è seguito in essi per tutto Marzo 1632… » ; « De l’éruption du Vésuve qui s’est produite le 16 décembre 1631, de ses causes et de ses effets. Avec le récit de tout ce qui s’en est suivi pendant tout le mois de mars 1632… »

23  C.-G. Dubois (1977) montre que la succession des faits, dans les annales, n’est cependant pas totalement dépourvue de logique. Mais cette temporalité reste bien éloignée de la chronologie établie dans les récits de catastrophe et mise au service d’une dramatisation de l’événement.

24  Voir sur ce point F. Lavocat (2007, 2008).

25 L’éditeur Bonifacio Ciera publie à Venise en 1630 une Raccolta di avvertimenti & raccordi per conoscer la peste : per curarsi, & preservarsi, & per purgar robbe e case infette, dédiée aux magistrats de la ville.Il explique au lecteur qu’il a réuni des documents concernant la peste de 1576.

26  Celui-ci fut canonisé en 1610 pour son action durant la peste de 1576-1577.

27  L’avance de l’Italie dans ce domaine semble réelle, tant du point de vue des mesures prophylactiques (Cipolla, 1986) qu’éditorial : le nombre et la qualité des relations de catastrophes y est unique en Europe. En tout cas, en 1726, d’Antrechaus, qui publie une relation de peste de Toulon de 1724, déplore l’absence de tels documents dans les archives de la ville.

28  Il s’agit probablement de l’incendie de 1571.

29 Observations both Historical and Moral upon the burning of London, With an Account of the Losses, and a most remarkable parallel between London and Mosco, both as to the Plague ad Fire (…) Written by the way of narrative, for satisfaction of the present and futures Ages ; « Observations, tant historiques que morales, sur l’incendie de Londres. Avec le bilan des pertes, et un parallèle remarquable entre Londres et Moscou, à la fois en ce qui concerne la peste et le feu (…)  écrit sous la forme d’un récit, pour la satisfaction du temps présent et futur ».

30  « And if it be true that the likeness and participation of afflictions doth mitigate the sens of them, that I may something allay the present sorrow, I will relate thee a story that hath much parallel with thine, to shew thou hast not been the onely miserable ; » (Rege Sincera, 1667, p. 17) ; « et s’il est vrai que la similitude et le partage des afflictions amoindrit leur sensation, laisse-moi apaiser quelque peu ton présent chagrin. Je vais te raconter une histoire qui a beaucoup de parallèles avec la tienne, pour te montrer que tu n’as pas été le seul à être malheureux. » (trad. P. Kapitaniak, 2011, p. 431).

31  Aurait-il eu accès à la relation originale, qui pourrait être en néerlandais (le narrateur est un marchand hollandais) ? Nos recherches en ce sens n’ont pas abouti.

32  Les deux textes de Goulart (1618) et de Rege Sincera (1667), en version originale et en traduction, sont insérés dans Lavocat éd. (2011, p. 414-424).

33  Dans le cas de l’incendie de Londres, le fait que le parlement de Londres ait immédiatement innocenté les prétendus incendiaires a incité les auteurs de relations à s’en tenir à des causes physiques (le vent, la nature et la disposition des maisons, l’absence de pompes à eau), sociales et morales (paresse, incurie des habitants), divines. Voir, sur la couverture de l’événement par la Gazette de Londres, P. Kapitaniak (2011, p. 393-394).

34  « La langue de roman » que Tadino refuse est à la fois mensongère et ornée (1648, dédicace à Francisco Orrigone). Tadino, contrairement à Ripamonti, soutient l’hypothèse démoniaque de la contamination. Sur Tadino, voir A. Duprat (2011, p. 170-173 ; extraits et traductions du texte, p. 190-207).

35  J.-M. Schaeffer (1999).

36  De la peste, 1641, II, p. 93-100.

37   Ibid., p. 82.

38  « Caeterum, quia satis lacrymarum adhuc, satisque miserarium, & flebilium querelarum satisque miserarium, & flebilium querelarum satis urbi est, pergam ego quicquid istud triste, ac lugubre narravi, temperare lepore quodam, & amoenitate, comparando, quae striptores illi, velut composita in scenae ostentationem retulere, cum iis, quae vidit aetas nostra, & passa est. Ita ludus quidam similitudinis inducetur, qui varietate casuum, & collatione, atque alterno inter vetera, & recentia, inter aliena, & nostras mala, excursu, recreabit animos » (ibid., p. 284). « Cependant, il est temps pour moi de mettre un terme aux larmes, aux misères et aux plaintes déchirantes de Milan et de tâcher d’égayer ce récit triste et lugubre, en comparant ce que notre époque a vu et enduré, avec les événements que les auteurs nommés plus haut ont exposé avec une emphase théâtrale, si j’ose dire. Cette confrontation aura l’heureux effet de délasser notre esprit en lui proposant des exemples très variés et en le transportant des temps anciens aux temps modernes, de notre propre malheur à ceux des autres » (trad. G. Marino, 2011, p. 107).

39  « In media clade, medioque incendio, & sicuti verè dici potuit, in ipso funere urbis, penè ridicula haec quotidie accidebant : quae mihi leviter attigisse visum, quomodo tragoediarum quoque lacrymis , chori, saltationesque nonnullae interponuntur. » (De la peste, 1641, II, p. 107) « Des scènes aussi ridicules avaient lieu presque tous les jours au milieu de la dévastation, des convulsions et pour mieux dire, des funérailles de Milan. Et j’ai voulu y faire allusion, comme on le fait parfois dans la tragédie, en mêlant aux larmes des chœurs et des danses » (trad. G. Marino, 2011, p. 103).

40  C’est le cas d’A. Tadino. Celui-ci raconte comment il a manqué d’être lynché par la foule qui refusait d’admettre la réalité de la contamination (1648, p. 83, sq).

41  « Il advint que le mal de la Bergere estant en estat d’estre percé, il n’y eut point de Chirurgien qui voulust pour la crainte du danger, se hazarder de la toucher39. Tircis à qui l’affection ne faisoit rien trouver de difficile, s’estant fait apprendre comme il falloit faire, prit la lancette, & luy levant le bras l[e] luy perça, & la pensa sans crainte. » L’Astrée (1607 [2011], p. 426).

42  Artamène (1664, I, 1, p. 17).

43  « Il regarda cette Ville ; il regarda le Port ; il jetta les yeux sur cette Mer, qui paroissoit toute embrazée, par la reflexion qu’elle recevoit des Nuës, que ce feu avoit toutes illuminées ; il regarda la Plaine et les Montagnes ; il tourna ses yeux vers le Ciel ; et sans pouvoir ny parler, ny marcher, il sembloit demander à toutes ces choses, si ce qu’il voyoit estoit effectif, ou si ce n’estoit point une illusion. » (Artamène, 1664, I, 1, p. 8-9)

44  Ibid., p. 8.

45  Pour un approfondissement de cette question, voir Lavocat (2011c).

46  « Il advint que la mere de Cleon en fut atteinte. Et quoy que ce mal soit si espouventable, qu’il n’y a le plus souvent ny parentage, ny obligation d’amitié qui puisse retenir les sains aupres de ceux qui en sont touchez, si est-ce que le bon naturel de Cleon eust tant de pouvoir sur elle, qu’elle ne voulut jamais esloigner sa mere, quelque remonstrance qu’elle luy fist » (L’Astrée, 1607 [2011], p. 425).

47  Sur cet auteur et cette œuvre, ainsi que pour une bibliographie complémentaire, voir Lavocat (2011b, p. 541-587).

48  Le titre complet de l’ouvrage historique mentionne cependant que celui-ci-ci est tiré des annales de la ville de Milan.

49  On ne sait pas, en effet, si la pièce a été représentée.

50  Dans le paratexte, l’auteur accorde une grande importance à l’idée, entendue littéralement, de « mettre en forme », de donner une forme à ce qui n’en a pas.

51  « Mirai anch’ io in questo confuso Chaos, e vedendovi tanta varietà di materie, non ardisco pigliar la piuma per scrivere qualche parte di si sconcertata à dar forma à cose tanto informi: Mà pregato da amici,(…) composi la presente tragedia, sforzandomi darle qualche forma, per levarle qualche confusione, Protesto però, che non dissi la millesima parte delle miserie occorse, e de casi successi »; « J’ai moi aussi contemplé ce Chaos confus, et devant la quantité de sujets divers que j’y voyais, je ne me sentais pas la hardiesse de proposer à ma plume quelque partie d’un ensemble aussi inextricable, sachant à quel point j’étais peu capable de donner forme à un tel désordre. J’ai cependant cédé à la prière des amis (…) j’ai composé cette tragédie en m’efforçant de lui donner quelque forme, et de lui ôter un peu de sa confusion. J’affirme pourtant que je n’y ai pas dit la millième partie des malheurs qui sont arrivés, ni des événements qui se sont produits » (trad. A. Duprat, 2011, p. 583).

52  « Car chacun estoit plus prompt à faire le mal qu’il dissimuloit auparavant, parce qu’il voyait les honnestes gens mourir pesle-mêle avec les autres » (Guerres du Péloponnèse, II, 48, 1662, p. 95).

53  La démonstration est cependant nuancée : une des deux filles rebelles de la pièce est sauvée.

54  A. Cascetta et R. Carpani (1995, p. 131-146). Des extraits de la pièce mis en scène par F. Doglio ont été diffusés dans le cadre du colloque sur « Le corps souffrant et la violence théâtrale » (4-5 avril 2009), organisé par C. Biet, F. Decroisette et C. Lucas-Fiorato.

55  B. Shapiro (1983). Dans Le Journal de l’année de la peste, on peut voir un indice de cette nouvelle culture du fait, appréhendé de façon statistique et critique, dans l’insertion de bilans de mortalité authentiques dont la crédibilité est d’ailleurs mise en question par le narrateur. Sur la culture scientifique et religieuse de Defoe et son rôle dans Le Journal de l’année de la peste, voir J. Hoock (2011, p. 253-270).

56  On sait que celles-ci sont celles de Henry Foe, oncle de l’auteur effectivement présent pendant l’épidémie londonienne de 1665.

57  La thèse de B. Binoche (2006) selon laquelle le journal de Defoe serait une satire de l’utopie, au motif que les mesures entreprises par les pouvoirs publics s’avèrent inefficaces, est contestable : les rapports de force entre les habitants, les mesures autoritaires prises par la ville et les autorités sanitaires, conflits arbitrés par les progrès ou le recul du mal, sont une constante de toutes les relations d’épidémies de peste.

58 A Journal of the Plague Year (1722 [1925], p. 65-67 et 140-174).

59  Ibid. (p. 103-105). Sur la circulation de cette anecdote, voir Lavocat (2008). Defoe souligne ironiquement l’authenticité douteuse de cette histoire ; le narrateur fait état de plusieurs versions de l’anecdote et conclut « I am fully satisfied by the truth of it » (p. 104); « je me satisfais pleinement de la vérité du fait »).

60 A Journal of the Plague Year (1722 [1925], p. 63).

61  On pourrait aussi mentionner, à la même époque, celle de Jean-Pierre Camus, dont il faut prendre au sérieux l’affirmation selon laquelle il n’écrit pas de roman.

62  Qui n’opèrent pas de distinction entre fait et fiction (Lavocat, 2010). On pourrait aussi parler avec M.-L. Ryan de thèses analogiques et avec T. Pavel de thèses intégrationnistes.

63  Dans la première partie de cet ouvrage, l’auteur raconte sa propre expérience du tsunami de 2008, à travers l’évocation du deuil d’autres familles rencontrées sur le lieu de la catastrophe.

64  Il s’agit d’une reconstitution, en temps réel, du vol dérouté vers Washington le 11 septembre 2001.

65  Ben Sliney, un des responsables du centre de commandement de la FAA américaine (Federal Aviation Administration).

66  Cependant, une controverse est née à propos de la présentation de l’attitude de l’un des passagers, allemand. Dans le film, ce personnage s’oppose à l’affrontement et plaide en faveur de la négociation avec les terroristes. Les protestations de la famille de ce passager soulignent les limites de l’entreprise de pseudo reconstitution du cinéaste.